Haïm Korsia: La lutte contre l’antisémitisme doit être une cause nationale

Il a été le Rabbin de Reims, de 1987 à 2000. Il est, depuis Juin dernier, le Grand Rabbin de France. Entretien avec Haïm Korsia, engagé plus que jamais pour une tolérance et une confiance retrouvées dans une France ouverte au dialogue interreligieux. Entretien avec Gérard Delenclos

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Le rôle d’un Grand Rabbin dans la communauté juive de France ?
Mettre de la cohérence dans la formation des rabbins, porter la voix du judaïsme, renforcer les liens entre les communautés et aider à penser la place d’une religion dans la France.

L’application et l’implication personnelle du Grand Rabbin de France ?
Dans notre religion, le numéro un n’existe pas. Nous sommes, tous les rabbins, porteurs d’une implication, entre autre, le lien essentiel avec tous les acteurs de la communauté.

La feuille de route du Grand Rabbin de France, pour les sept ans à venir ?
Mon idée est d’ancrer encore plus le judaïsme dans son rôle de proposition pour l’ensemble de la nation. Nous avons des convictions sur l’homme et l’une d’entre elles est le grand respect de l’importance de la diversité de chacun : travailler avec les responsables de toutes les religions, comme avec le humanistes athées.
Que faut-il entendre par « La neutralité du Rabbin » ?
Quand on est neutre, on n’est pas partisan. Ne pas être partisan c’est admettre que les bonnes idées n’appartiennent pas à tel ou tel camp. Il faut transformer les bonnes idées venues d’ailleurs en réalités bénéfiques pour tous. Nous souffrons, en France, d’une imputation permanente de 50% de bonnes idées, parce qu’elles ne viennent pas de ceux qui gouvernent.
Tout ce qui vient d’en face n’est pas forcément négatif, sans nier les différences des partis ou des politiques. Je constat que l’on trouve plus de synergies au niveau local qu’au niveau national.
Réflexions sur l’orthodoxie et le libéralisme ?
Je suis rabbin. Je suis orthodoxe en respectant la loi juive tout en acceptant que d’autres aient des croyances différentes. Mon orthodoxie n’exclut personne. Si libéral signifie laisser faire tout et n’importe quoi, je ne suis pas libéral.
La situation de la communauté juive en France, aujourd’hui ?
Il est vrai que nous vivons une période trouble. Si les actes d’antisémitisme sont graves, encore plus grave est le fait que personne n’ait vu monter ce phénomène, or il existait bien et cet aveuglement est quasi général. La société contemporaine ne produit plus les mêmes capacités d’indignation devant ces faits qu’il y a une vingtaine d’années. Je crains que l’on soit en train de banaliser l’antisémitisme. Souvenez-vous de l’après Carpentras et du défilé d’un million de personnes, Président de la République en tête. Le Gouvernement a aujourd’hui les mots et les gestes qu’il faut devant ce genre de crimes. La société, dans son ensemble, se montre quasiment insensible.  Les attaques récentes des synagogues ne sont pas, comme on le dit, des luttes intercommunautaires. Il faut que l’ensemble de la société comprenne que de simples insultes peuvent être le début d’assassinats.
La France est-elle raciste, et plus précisément antisémite ?
La France n’est pas raciste, certains Français le sont, racistes et antisémites. Le rejet de l’autre n’a pas besoin du racisme. On le voit bien dans les violences imbéciles de certains supporters d’équipes de football.
De quoi faut-il parler, à présent, après Toulouse, Bruxelles, Paris et sa banlieue ?
D’espérance et de confiance. La peur enfante l’enfermement sur soi. Mais c’est ensemble qu’on peut améliorer le monde. Le plus grave, devant ces actes antisémites, c’est l’indifférence de l’opinion publique.
Dans les tensions et les guerres qui agitent le Moyen-Orient, la France est-elle si loin ?
Ce qui se passe au Moyen-Orient n’est qu’un prétexte pour certains agitateurs qui cherchent ainsi à justifier leur haine.
« Adepte du dialogue interreligieux », avec tous, y compris le nouvel Etat Islamique ?
L’Etat Islamique n’est pas un état. Je n’ai pas vocation à discuter avec les états. Avec l’islam et toutes les autres religions, oui. Les meurtres au nom de l’Islam n’ont rien à voir avec l’Islam. Le véritable dialogue interreligieux est un grand signe d’espérance. C’est lorsque Caïn et Abel ne se parlent plus que le silence engendre le meurtre.
« Mort aux Juifs », un slogan qu’on peut résumer en une guerre Français contre Français ?
Dans les derniers évènements, à Paris et en banlieue, j’ai vu des Français attaquer d’autres Français. Pour moi, il s’agit d’affrontement entre citoyens et donc d’une guerre civile. Le constat est clair : on assiste à un véritable délitement de l’essence même de la France.
« Vivre ensemble », comment et avec qui ?
Je ne me suis jamais poser la question de la religion de mon voisin. Partager avec les autres sans leur demander à quoi ou à qui ils pensent. Etre capables de rêver ensemble.
Pourquoi vouloir faire entrer les cultes dans l’école publique, laïque par essence ?
Laïcité n’a jamais voulu dire méconnaissance. L’école doit apprendre aux enfants ce que sont les religions des uns et des autres. Ne pas confondre, pour autant, apprentissage des faits religieux et exercice d’une religion. Savoir ce que sont les religions, c’est aussi de la culture générale. Cette absence de savoir est une atteinte grave aux racines de la République.
La République est sensée nous protéger, pourquoi faudrait-il, aujourd’hui, la protéger ?
Nous devons transformer nos grands débats de société en connaissance mutuelle et réciproque des uns et des autres, alors qu’aujourd’hui les idées deviennent des prétextes à former des clans. Protéger la République c’est tarir toutes les sources claniques.
« Laissez les Juifs être attaqués, c’est prendre le risque d’une rupture du pacte républicain » ?
Attaquer les Juifs et aussi attaquer toutes les religions et toutes les différences qui ont le tort de ne pas plaire à certains. Pourquoi existerait-il des moins Français que d’autres et au nom de quel principe de justice ? Le lien entre tous existe. Il faut le reconnaître. C’est aussi cela défendre la République. L’antisémitisme n’est pas que l’affaire des Juifs. La lutte contre l’antisémitisme doit être une cause nationale.
Sale période pour être, aujourd’hui, le Grand Rabbin de France ?
La défense de la République est au cœur de notre liturgie. Je suis confiant. La France retrouvera bientôt ses racines tolérantes. Je sais que les pouvoirs publics ont pris conscience du danger de laisser se développer l’antisémitisme. Le respect de l’autre est aussi important que la sécurité de tous. Le Judaïsme en trois mots ? Liberté, égalité, fraternité. Je ne suis pas schizophrène : je suis juif et français, français et juif.

 

 

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