La Champagne à l’ UNESCO: un si grand projet porté par une si petite équipe

© Champagne Création

Si les protagonistes, contributeurs, sympathisants du dossier champenois ont été nombreux, l’essentiel du travail a reposé sur une petite équipe conduite par Pierre Cheval. Ce n’est pas la montagne qui a accouché d’une souris mais la souris qui a accouché d’une montagne.

 

Voilà, c’est fait. Les Coteaux, Maisons et Caves de Champagne accèdent au patrimoine mondial de l’humanité. Sur l’échelle de Richter des émotions humaines, le coup de marteau asséné à Bonn par la présidente de session provoque chez Amandine Crépin Lopes un séisme de forte magnitude. Il entre dans cette joie débordante un peu du vertige que donne avec le recul la conscience de l’immensité et de la complexité du travail accompli, et qui fait dire à la jeune femme que « pour se lancer dans cette aventure, il fallait être fou ! » Oubliés les nuits blanches, les moments d’incertitude, l’empiètement de la vie professionnelle sur la vie privée. Oubliées les centaines d’heures passées à peaufiner le dossier et les centaines d’heures dépensées sur le terrain avec les experts, les hauts fonctionnaires, les élus, les partenaires, les vignerons, les habitants pour expliquer, partager, convaincre. Ne restent que les bons souvenirs (le survol en montgolfière du vignoble pour le tournage d’une vidéo, le dépôt au ministère du dossier papier de 5000 pages et 24 kg serré dans trois valises à roulettes, la rencontre avec Pierre Arditi dans son appartement parisien pour l’inviter à supporter le camp champenois, la prise de « température » au Qatar…) et le sentiment personnel d’avoir été favorisée par la chance. La chance d’avoir été au bon endroit au bon moment.

La fleur au fusil

Alors qu’elle est en stage à l’Agence d’urbanisme de la région de Reims au sortir de ses études de géographie et d’urbanisme, Amandine se frotte au concept de patrimoine mondial avec le CIVC qui pose les prémices d’une candidature. « Il y avait besoin d’une petite main pour défricher le projet en train d’émerger. On lançait des inventaires pour avoir une meilleure connaissance des sites. Il fallait aussi réunir tous les acteurs, les élus des communes comme les producteurs du paysage que sont les vignerons, les Maisons de Champagne. La protection du patrimoine industriel du 19ème et du 20ème n’était pas perçue comme un sujet évident. Cela a demandé un gros travail d’accompagnement, mené avec les services de l’Etat. »

Le projet Unesco commence à révéler tout son potentiel. La création en 2008 de l’association Paysages du Champagne officialise la démarche. Un dossier de préfiguration est élaboré, que les représentants du champagne et les grands élus de la région vont défendre, la fleur au fusil, devant les instances françaises en 2009. Le positionnement n’est pas le bon, l’esprit de conquête de la délégation est peut-être trop marqué, toujours est-il que, à ce premier stade de la procédure, la proposition fait chou blanc.

Repartir de zéro

Mais l’équipe de Pierre Cheval n’est pas du genre à s’affaler devant l’obstacle. Elle imprime la stratégie qui va lui réussir : celle du bon élève. « On est reparti de zéro en changeant d’approche, en construisant le dossier sur ce qui rend les paysages du Champagne uniques, c’est-à-dire leur verticalité qui se dessine des caves et crayères au patrimoine bâti typique de l’activité vitivinicole, jusqu’aux coteaux de vignes. On a aussi redélimité le bien autour de trois sites représentatifs, axé le plan de gestion sur toutes ces valeurs. Un comité scientifique nous a guidé dans l’écriture. » Par son exigence et son discernement, Michèle Prats, nommée rapporteur du dossier au sein du Comité des biens français, pousse l’équipe à faire les meilleurs choix d’orientation, à valoriser certaines particularités de l’histoire industrielle du champagne.

Avec le support de l’Agence d’urbanisme, Amandine Crépin Lopes a repris en 2011 l’animation de l’association, suite au départ d’Emilie Landau, et appelé en renfort Caroline Gambart. « La volonté était d’avancer sans bruit et d’être sûr de notre dossier avant de le présenter à nouveau. » En 2012, les signaux commencent à passer au vert. C’est le moment de battre la grosse caisse et d’obtenir le soutien de la population en donnant de la visibilité à la candidature dans les grands événements de Reims, d’Epernay, du vignoble.

On a réveillé les fiertés

Cette fois ça y est, le dossier est mûr et complet. Il passe avec succès devant le Comité des biens français et jaillit dans la sélection officielle de la France en janvier 2014. Les 18 mois suivants seront pleinement occupés par les procédures d’évaluation du bien et les visites des ambassadeurs pour leur expliquer l’essence du projet. « Il s’agissait d’entretenir cette petite musique autour de notre dossier pour qu’ils ne le découvrent pas au dernier moment. On n’était pas dans le lobbying mais dans la présentation argumentaire et la diplomatie culturelle. » Vu le résultat obtenu le 5 juillet à Bonn, la méthode devait être la bonne. Dernières confidences d’Amandine : « ce ne sont pas des choses qu’on apprend à l’école. Il faut être débrouillard, avoir une grande capacité de digestion des informations, savoir se faire des alliés, être d’une grande sociabilité, d’une grande humilité. On a construit avec nos petites mains, on a rassemblé, on a réveillé les fiertés, on s’engage pour les générations futures. Je pense mettre quelques années à mesurer l’impact de cette aventure. Je n’en aurais peut-être plus à vivre de pareille. »

 

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