Reims: Vincent Lambert, après la décision du Conseil d’Etat ?

Reims – “Je tiens à rassurer les magistrats du Conseil d’Etat, si le jugement du Tribunal Administratif  est réformé, il n’y aura aucune précipitation de notre part”. c’est par ces mots que le Professeur Eric Kariger, Chef du Pôle Autonomie et Santé du Centre Hospitalier Universitaire de Reims s’adresse aux magistrats du Conseil d’Etat. 

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Le médecin qui suit Vincent Lambert dans son service du CHU de Reims répond aux questions de Gérard Delenclos dans le magazine REFLETS Actuels paru ce matin. Le Conseil d ‘Etat doit examiner ce jeudi les recours de l’épouse et du CHU de Reims contre la décision du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

A lire l’interview du Pr Eric Kariger

Choisir entre l’acharnement thérapeutique et le respect de la volonté du patient

J’ai toujours eu cette vocation : m’occuper des autres et plus particulièrement des plus fragiles d’entre nous. Pour aimer les autres, il faut avoir été aimé soi-même. Ma mère est le plus beau cadeau de ma vie. Quand il m’est arrivé de douter dans mes études, mes professeurs ont eu confiance en moi. Je suis venu au monde prématuré hypotrophe, quasiment un miraculé de la médecine, né trop tôt et trop petit. Baptisé à l’âge de cinq jours. Peut-être à cause du pessimisme des médecins quant à ma survie.

Cela  donne, évidemment, des convictions et des valeurs. J’ai très vite compris la vie comme un don, comme un fait qui ne m’appartient pas. J’ai su qu’il fallait prendre soin de ma vie et de celles des autres, sans oublier que la mort est partie intégrante de la vie, la dernière étape de la vie et pas forcément un drame.

Pas de vie sans relation avec les autres

Mes valeurs morales, confessionnelles et professionnelles sont bien en phase. En tant que médecin je suis un défenseur de la vie. Mais la vie est un moyen, pas une fin. Quand je défends la vie, je défends aussi la qualité de cette vie. On ne vit pas pour vivre. On vit pour être en relation, pour partager.  La vie, c’est aussi être avec les autres. Locataire de ma vie, mais surtout pas propriétaire.

En conscience, il nous faut reconnaître les limites de la vie. Soigner consiste alors à respecter les limites de notre métier de médecin, même si nous avons su repousser ces limites. Nous possédons une certaine puissance technique sur ce sujet : c’est la médecine qui repousse ces limites. La question fondamentale aujourd’hui est de s’assurer que l’on ne les dépasse pas abusivement par des pratiques inutiles, disproportionnées ou n’ayant d’autre objet que le maintien artificiel de la vie

L’obstination déraisonnable

A ce stade débarque le sujet de l’obstination déraisonnable et l’enjeu majeur du respect des droits du patient. Avec le cas Vincent Lambert, nous sommes au cœur de ce débat : la cohabitation du droit et de la médecine. Dans l’exercice de mon métier, j’engage tous les jours ma responsabilité déontologique, civile et pénale. C’est notre devoir de rendre des comptes, y compris devant la justice. En retour, le droit doit protéger les médecins dans l’indépendance de l’exercice de leur métier.

La loi Léonetti protège bien les patients contre les éventuelles errances du corps médical, qu’il s’agisse d’une certaine forme d’eugénisme d’une part ou de l’acharnement thérapeutique d’autre part. En effet, lorsque l’on envisage d’arrêter un traitement qui entraine la mort d’un patient dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, le corps médical doit s’enquérir des volontés du patient que ce dernier avait exprimé antérieurement, en particulier l’existence de directives anticipées, du témoignage de la personne de confiance, ou à défaut de la famille et des proches.

Par contre, cette loi ne protège pas les patients eux-mêmes contre l’acharnement de leurs proches. Pour Vincent Lambert, son épouse et sept frères et sœurs ont compris et respecté la décision médicale d’arrêté les traitements. Ses parents et deux de ses frères et sœurs s’y opposent. La procédure collégiale médicale a été respectée. Nous sommes allés au-delà des exigences de la loi. L’équipe soignante, le groupe éthique de la Faculté de Médecine de Reims et quatre médecins extérieurs ont été consultés. Depuis la Loi Léonetti, le médecin n’est plus seul à décider de la vie ou de la mort. En la matière, ma décision est une décision collective que j’assume en responsabilité.

Condamné à vivre à perpétuité quelle vie ?

Pour moi, Vincent Lambert est un malade pauci-relationnel, cérébro-lésé. Il n’a pas de capacité relationnelle fiable. Les meilleurs experts le savent. Vincent Lambert est tenu artificiellement en vie. Vincent Lambert, malgré tout ce qui a été dit, souffre tous les jours. Son corps nous rappelle son histoire émotive. Il est atteint d’une maladie grave, incurable et sans espoir d’amélioration. Il est en fin de vie, si la médecine n’intervient pas. Nous sommes réellement dans une démarche palliative. Nous avons le devoir de soulager ses inconforts. Nous l‘avons toujours fait et nous continuerons.

Alors que nous avons parfaitement respecté la loi, le tribunal a donné sa version « médicale »: la poursuite de la nutrition et de l’hydratation artificielle ne constituerait pas une obstination déraisonnable, c’est-à-dire un acte inutile, disproportionné,  ayant pour seul objet le maintien artificiel de la vie.  Ce que nous contestons. La définition de l’acharnement thérapeutique me semble relever plus de l’éthique de la  médecine que du droit. Cette évaluation renvoie à des compétences médicales que n’ont pas les juges.

Après la décision du Conseil d’Etat ?

Je respecte les décisions de faire appel de Madame Lambert et du Centre Hospitalier Universitaire de Reims. Que le Conseil d’Etat ait doive se prononcer prouve, s’il le fallait, que cette affaire porte en elle une grande importance sociétale. En ma qualité de citoyen, je me réjouis que le débat sur le « laisser mourir » soit relancé et que la justice donne, sans ambigüité, son point de vue. La décision du Conseil d’Etat ne sera, en aucun cas, une épée de Damoclès sur la vie de Vincent Lambert.

Je tiens à rassurer les magistrats du Conseil d’Etat. Si le jugement du Tribunal Administratif  est réformé, il n’y aura aucune précipitation de notre part.  Je souhaite vivement un climat apaisé dans la famille de Vincent Lambert et qu’à l’avenir les médecins, dans ce type de cas, soient protégés juridiquement.

Aujourd’hui, j’ai une pensée particulière pour Vincent Lambert, son épouse et sa famille. Je tiens à rendre hommage à toute mon équipe et je formule le vœu que cette douloureuse histoire ne marque pas la recrudescence de l’acharnement dans la pratique médicale.

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